• 1100 - Eloge funèbre pour Monsieur Diard

    Vous voilà donc mort monsieur Diard, vous qui sembliez solide comme un marbre, durable comme un siècle...

    Je vous ai toujours connu vieillard. En réalité vous paraissiez immortel dans vos cheveux blancs. Vous aviez la ride profonde et le regard silencieux des grands sages. Votre visage était un terreau, vos mains des massues. Et votre parole, rare mais féconde, résonnait comme d’immémoriales sentences paysannes. 

    Vous étiez de la race révolue des hiboux d’antan. Le berger de la bête et de la flore, l’ami de la graine et du fagot, l’amant du Soleil et de la Lune. Un oiseau agreste d’envergure onirique. Un seigneur agraire, le dernier des Mohicans sarthois, un poète des labours, le troubadour des pissenlits.

    Chaste et vertueux.

    Vous sentiez le foin, la pluie, les saisons...

    Pour la société vous n’étiez rien qu’un vieux bouseux sans intérêt, un péquenaud dépassé par son époque, un rescapé de la féodalité perdu dans la modernité, un gueux du passé oublié par le reste du monde.

    Pour moi et tous les esprits subtils et supérieurs, vous étiez un prince.

    Crotté et magnifique. 

    Votre univers, votre réalité, votre passé et votre avenir, votre idéal et votre éternité, c’étaient vos champs.

    Et rien d’autre.

    L’âtre auprès duquel vous réchauffiez votre vie humble et fruste, c’était pour moi un paradis intime qui brûlait délicieusement dans le soir. Un authentique refuge poétique. L’incarnation simple et brute de mes rêves virgiliens les plus purs.

    Et lorsque vous avanciez sous la bourrasque d’un pas lent et résolu, inébranlable, le front nu, le regard altier, fourche en pogne,  je voyais en vous une statue en marche. Ou un épouvantail plein de paille et de mystère...

    Votre évasion, votre fantasme, votre ambition, votre chimère, votre folie c’était la terre, toujours la terre et rien d‘autre que la terre.

    Vous l’aimiez comme un père aime son fils, vous qui n’aviez pas de descendant, pas d’épouse, point de foyer. Votre enfant, le seul que vous avez aimé passionnément, ce fut le sillon.

    Vous conceviez la mort comme une prairie sans fin où pousseraient des gerbes d’or que vous faucheriez à l’infini sous un astre étincelant... Je me souviens que vous souriiez à l’évocation de cette rêverie agricole, vous souriiez doucement, les yeux pleins de bonheur, les lèvres murmurant d’indistinctes bénédictions à l’adresse de ce Dieu des paysans qui rayonnait en vous comme l’unique soleil d’une existence vouée au travail champêtre...

    J’ignore si en mourant vous êtes arrivé dans ces inépuisables étendues de blés qui vous sont si chères, peut-être avez-vous trouvé encore mieux que ce à quoi vous vous attendiez, mais j’aime à me figurer votre silhouette éternelle parmi les épis dorés, fauchant les récoltes de l’Eden dans un été perpétuel...

    Adieu monsieur Diard, je vous aimais beaucoup. Adieu et bon vol dans votre ciel d’azur et d’herbes sauvages, de chaume et d’épeautre, de corbeaux et de chats-huants.


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